Le transport routier en Europe : les conducteurs des pays tiers.

Le transport de marchandises est la nouvelle machine à fabriquer des esclaves en Europe - un puissant outil de dumping social.
 
L’histoire commence en 2002. En mars de cette année-là, l'Union européenne a introduit la certification pour les conducteurs de véhicules de transport de marchandises non communautaires. À l'époque, il n'y avait que quelques centaines de conducteurs de ce type provenant de pays tiers.
 
Le règlement relatif à leur attestation reconnaissait qu'il était "impossible de vérifier si les conducteurs en dehors de l'État membre d'établissement du transporteur sont engagés ou détachés légalement" et que ces conducteurs étaient "parfois engagés illégalement et uniquement pour des transports internationaux en dehors de l'État membre d'établissement du transporteur avec l'intention d'enfreindre la législation nationale". Le texte poursuit : « Ces conducteurs engagés illégalement travaillent souvent dans des conditions précaires et sont sous-payés, ce qui compromet la sécurité routière.
 
Une telle violation systématique de la législation nationale a entraîné une grave distorsion de la concurrence entre les transporteurs qui se livrent à de telles pratiques et ceux qui recourent uniquement à des conducteurs engagés légalement.
Les organismes habilités se trouvent dans l'impossibilité de contrôler les conditions de travail de ces conducteurs engagés illégalement. » 
 
Il restait cependant impossible de vérifier si les conducteurs étaient effectivement occupés légalement. En 2009, l'UE a donc introduit un nouveau règlement sur l'accès au marché du transport international de marchandises par route et la certification des conducteurs. Les autorités compétentes des États membres sont ainsi tenues de contrôler chaque année au moins 20 % des certificats de conducteur qu'elles délivrent.
 
À la fin de 2012, 44 316 certificats de conducteur de pays tiers étaient en circulation dans les 27 États membres. C'est l'Espagne qui en avait le plus, avec 10 599. En l'espace de neuf ans, le total a grimpé en flèche pour atteindre 277 159. Alors qu'en 2012, la Pologne en comptait 4 221 et la Lituanie 2 277, en 2021, ces deux pays représentaient à eux seuls 77 % de tous les certificats. La Lituanie, petit pays de 2,7 millions d'habitants, compte un peu plus de 20 000 conducteurs lituaniens mais, officiellement, 80 000 conducteurs extracommunautaires.
 
Une augmentation explosive
 
Le problème est que ces conducteurs ne travaillent pas en Pologne ou en Lituanie, où le certificat a été délivré, mais dans l'un des 25 autres États membres - dans des conditions salariales et sociales indécentes. Pour voir à quel point les données sont artificielles, la Belgique, au cœur du réseau de transport européen, compte environ 40 000 conducteurs belges et seuls 340 sont enregistrés comme non-UE. Ou supposons que la France fasse comme la Lituanie : il y aurait 359 000 conducteurs français et 1,3 million de conducteurs extracommunautaires - en réalité, 272 sont attestés.
En décembre 2021, la Belgique a présenté une note lors d'une réunion des ministres des transports de l'UE, dans laquelle elle s'inquiétait de "l'augmentation explosive" du nombre de conducteurs originaires de pays tiers. Elle a accusé "une stratégie délibérée de grands groupes logistiques dans quelques États membres", visant à "maintenir les coûts de main- d'œuvre aussi bas que possible, afin de gagner en compétitivité par rapport au reste des opérateurs de l'UE". Ces préoccupations ont été reprises par le Danemark lors d'un conseil sur les transports en juin suivant.
Une étude universitaire a corroboré ce que divers articles de journalisme d'investigation ont montré. Sur les 1 027 conducteurs interrogés dans le cadre de cette recherche, principalement biélorusses et ukrainiens, la plupart travaillaient exclusivement en Europe occidentale plutôt que dans le pays d'établissement de leur employeur (Lituanie ou Pologne). Trente-cinq pour cent ont déclaré que leur employeur leur fournissait des documents falsifiés et la moitié n'a pas reçu de bulletin de salaire. 
Ce sont de véritables esclaves. Après quelques mois de travail, un employeur peut menacer de ne pas leur verser les salaires dus. Comme le certificat est la propriété de l'entreprise, celle-ci peut le résilier quand elle le souhaite. Il s'agit d'une menace permanente pour le travailleur.
 
Des conséquences désastreuses
 
Avec une augmentation de quelque 20 % des certificats chaque année, le nombre de conducteurs non européens exploités comme des esclaves devrait atteindre un million d'ici 2030. Cela aura des conséquences socio-économiques désastreuses pour le secteur.
 
Au niveau européen, nous proposons de limiter le nombre de conducteurs non européens à 5 % des conducteurs nationaux. Si un pays compte 300 000 conducteurs, seuls 15 000 certificats pourraient ainsi être en circulation. Un tel plafond empêcherait que le nombre de conducteurs extracommunautaires soit artificiellement gonflé par des transporteurs nominalement enregistrés dans l'État membre pour faire du dumping social ailleurs.
Trois décennies après le lancement du marché unique, si nous ne voulons pas qu'il devienne un marché inique, des mesures doivent être prises d'urgence.
 
Sources : Article du 14 février 2023 RP Social Europe :  Roberto Parrillo est Responsable du secteur transport routier et logistique d'ACV-CSC Transcom en Belgique et Président du secteur transport routier de la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF).

FGT CFTC

Publié le 23 février 2023

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